Les héros périmés – Ksénia Lukyanova

herosperimesDimanche dernier on a décidé d’être heureux, on tressaille de joie, nos sourires affolés gâchent la journée des gens qui ont perdu à jamais leur innocence. On a récupéré notre virginité en fracassant l’indifférence des portes fermées. On passe de l’autre côté de la rue pour fermer les yeux de la laideur avec nos mains crasseuses d’amour après son dernier soupir. J’échange la moitié de mon sang contre la moitié du tien. L’équilibre est atteint, la laideur peut crever.

Cet ouvrage est en réalité un recueil de nouvelles poétiques. Des nouvelles très courtes, deux à trois pages seulement, avec un thème important qui revient de manière récurrente, l’amour. L’amour d’une femme pour un homme, l’amour pour la vie, et bien sûr, tout ce qu’engendre l’amour. L’écriture est d’une grande fluidité et certaines phrases sont d’une grande beauté, comme « Je voudrais que mon âme soit follement grande pour te laisser partir et que ma mémoire soit courte pour t’oublier… mais mon amour pèse plus que la volonté ».
L’auteur propose ici ses réflexions avec des tournures poétiques, qui alanguissent le lecteur, et donnent un rythme, doux mais soutenu au contexte.
Un recueil rempli malgré tout de tristesse et de passion. Je reconnais que ce n’est pas le genre habituel de lecture que j’affectionne mais l’ouvrage est sincèrement intéressant et nous pose finalement des questions sur nous, nos relations. C’est bien écrit, bien pensé, et ça se lit avec un réel plaisir. Un recueil sur une certaine philosophie des relations, ou alors je suis complètement passé à côté.
Je remercie Rue des Promenades pour ce partenariat.

Je n’écris plus – Fabienne Yvert

jenecrisplus« Quand j’ai écrit Je n’écris plus, je me tapais une petite déprime après le décès de ma grand-mère. Le monde devenait trop lourd et me rendait impuissante. Pour m’en défendre, je devais comprendre, le mettre à plat : alors j’ai saisi mes tampons. » (Fabienne Yvert) Écrit (et composé) les deux pieds dans le quotidien, entre difficultés matérielles (comment créer quand on a à peine de quoi manger ?) et coup de blues existentiel (comment vivre quand tout fout le camp ?), Je n’écris plus est un livre capable de vous faire passer du rire aux larmes en deux coups de tampons. Avec ce quasi samizdat, croisement improbable entre tract, haïku et autofiction sans concession, Fabienne Yvert vise le réel par le petit bout de la lorgnette avec le lance-pierres du dérisoire. et elle vise juste ! En capturant le temps qui passe, entre le particulier et le général, le vain et l’utile, le ridicule et le poétique, elle atteint l’universel.

Ce petit livre, qui est une réédition, a bénéficié d’un travail d’écriture assez particulier puisque l’auteur a utilisé des tampons pour le réaliser. Hormis cette originalité, il y a une certaine forme de philosophie dans son épuisement et agacement à écrire. L’auteur traverse une phase de remise en question lui faisant haïr l’écriture et la lecture. Elle en est dégoûté à force certainement d’en avoir trop fait.
Quelques phrases, ou morceaux de phrase, sont assez éloquents et intéressants à creuser. Mais dans l’ensemble, l’impression de ce travail reste assez mitigée. Nous lisons, du moins c’est la sensation qui existe à sa lecture et après avoir refermé ce petit livret, que l’auteur est encore malgré ses quarante ans, qu’elle n’est finalement qu’une adolescente dans un corps d’adulte, sujet à des désirs qui ne collent pas avec la réalité de la vie. Elle se considère presque comme un garagiste, sans le cambouis ni les douleurs physiques, encore moins le harassement du journée de travail. Vivant au RMI, vivotant de sa passion, elle donne l’impression de profiter du système pour pouvoir réaliser ses rêves, je trouve cette démarche quelque peu puérile, parce que ce RMI lui permettant de vivre pour l’écriture, c’est le garagiste qui le paye. Alors bien sûr, le débat est éternel, sans fin et n’a plus rien à voir avec le livret lu.
C’est le sentiment que j’ai eu à cette lecture, elle ne m’a pas laissé indifférent.
Enfin, la présentation est soignée et le livret est propre et assez joli, bien réalisé, d’une originalité plaisante.
Je remercie Libfly et La ville brûle pour ce partenariat.
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Ad(e)n – Julien Delmaire

adenAvant de commencer cette chronique, je tiens à remercie Libfly et L’Agitée pour ce partenariat.

Julien Delmaire est un slameur reconnu et talentueux. Ad(e)n est l’un de ses premiers recueils de poésie. Son slam est urbain, cynique, acide, extrêmement contemporain. Lu dans son intégralité d’une seule traite, Ad(e)n est un récit futuriste où manipulation génétique rime avec drogue et violence. Du texte, nous ressentons une souffrance, mais aussi, et c’est le plus frappant, un fatalisme face à ce que propose la vie. Point de combat mené inutilement, l’acceptation de son sort est devenu une religion. Mais ce n’est pas dans ces termes que sont exposées les idées de l’auteur. La poésie est cruelle, et les mots, lancés aussi vite que les idées fusent, nous transpercent, un à un.

Je regrette de ne pas avoir pu écouter son oeuvre, car à la lecture il manque le rythme du slameur qui nous assène ses paroles enivrantes. La mise en page, particulière, tente bien sûr d’ajouter ce tambour rapide/lent entre les textes de Julien Delmaire.

Ce texte, de 2007, ne me paraît pas abouti, dans le sens que l’auteur ne se pousse pas au maximum de ses capacités. J’ai ressenti comme un manque parfois, ce quelque chose qui manquait pour être parfait, bien que certains passages soient réellement au point. J’imagine que depuis l’auteur aura continué à travailler pour proposer à son auditoire un texte plus complet.

Néanmoins, Ad(e)n reste un texte noir et intéressant, qui plaira aux amateurs de poésie urbaine. A lire bien sûr, mais surtout à écouter…

Je remercie Libfly et L’Agitée pour ce partenariat.

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Le mur s’efface – Julien Delmaire

lemurseffaceQue peuvent les mots face au fracas du vide ? Quand le feu enlace la plaine, quand la détresse lape nos mains comme une vieille chienne silencieuse. Comment coucher sur le papier ces mots pleins encore de salive sans en faire des pachas désséchés ? Ces questions sont légitimes. Mais la poésie s’en fout. A quoi sert la poésie ? A rien sans doute, c’est pour cela qu’elle est aussi vitale que le sang dans nos veines, que la rage et le rêve sous nos crânes d’ouragans. Un recueil qui ne soit pas un cercueil de mots ineptes. Pas facile. Prétentieux. Alors juste dealer ces rimes comme on fourgue des fleurs, à l’embrasure des tours. Passer quelques sensations, des mots en contrebande et puis après ça te regarde, ça nous regarde. A nous d’écrire la suite et surtout de la vivre… Le mur s’efface est un florilège de textes épars écrit du bout des lèvres entre 2001 et 2007. Du slam si on veut. De la poésie un peu aussi. Parce qu’un poème n’est jamais complètement perdu. Ca parle de luttes, de mémoire, d’espoirs, d’amour de corps qui ressentent et qui résistent.

Avant de commencer cette chronique, je tiens à remercie Libfly et L’Agitée pour ce partenariat.

Le mur s’efface est un recueil de poésie contemporaine. L’auteur les aura clamé à voix haute à différentes occasions de 2001 à 2007. Julien Delmaire un poète actuel, qui slame ses textes.

Dans Le mur s’efface, ce qui ressort le plus est la colère sourde de l’auteur. Les sujets évoqués ici sont assez difficiles puisqu’il s’agit de souffrance en prison, de prostitution, de junkies… Julien Delmaire s’accapare une idée, une émotion et de ce travail intime en sort un texte brut, violent et agressif.

Si les textes avaient été écrits sur une courte période, nous aurions pu imaginer un passage difficile dans son existence, mais pendant six longues années, il a travaillé à des textes d’une rare énergie sur des sujets qui pourtant lui sont très éloignés comme celui se situant pendant la seconde guerre mondiale ou sur celui encore de la prostituée. Ce n’est plus une période de sa vie qui est difficile mais toute sa vie… Alors pourquoi tant de colère ? Je lui souhaite de trouver le bonheur et de nous proposer un jour des textes un peu plus gais.

Malgré tout, les illustrations sont assez belles et représentatives du mal-être psychologique, de la déréliction de l’être, et la couverture est particulièrement réussie. Je regrette autant de colère dans si peu de pages. Un peu d’espoir, bordel…

Et pour clore cette chronique, je me suis essayé au slam, voici quelques lignes sans prétention.

a nous enfoncer des mots à coup de trique
il devrait s’essayer à la politique
avec ses faux airs anarchistes
s’inscrire à la gauche extrémiste

Je remercie Libfly et L’Agitée pour ce partenariat.

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Larrons – François Esperet

larrons« Dans Paris prostitué souvent le soir je les vois / les princes dérisoires de la nuit les beaux étalons / castrés qui raclent le sol de leurs sabots précieux / avant de s’élancer trotteurs hystériques efféminés / dans les courses poussives des prix crépusculaires / je sens le souffle idiot de leurs naseaux camés / je vois leurs yeux aveugles se noyer en souriant / dans l’effondrement des paupières et des cernes / au fond boueux exsangue de leurs tristes orbites / et par ennui je mise quelques heures précieuses / sur l’une de ces carnes qui fuit sans fin l’abattoir […] »

Par ces vers s’ouvre Larrons, un long poème épique formé de quatre chants. Chaque chant est le monologue d’un larron de notre temps, petite frappe ou grand seigneur de la nuit, vivant de forfaits, d’embrouilles ou de crimes éclatants.

La parole est à l’accusé. Qu’il nous parle de sa vie, de son ennui, de ses gloires passées, de ses grands souvenirs, de son espérance. Qu’il ne nous épargne rien. Mais qu’il nous en parle avec vérité, que l’on entende l’éternité dans sa voix. Qu’il déploie devant nous le courant de ses pensées, quand il vole, quand il mange, quand il aime. Qu’il nous raconte sa routine, qu’il nous fasse sentir avec simplicité l’étrangeté de sa vie, qu’il nous explique comment vivent ceux qui vivent comme si le salut n’existait pas.

Avant de commencer cette chronique, je tiens à remercier BoB et les éditions Aux Forges de Vulcain pour ce partenariat. 

Larrons est l’histoire de gens vivant en marge de la société, se droguant ou se prostituant. C’est un long poème dans la peau de ces personnages hors normes nous contant leurs péripéties, un poème urbain, écrit comme un rap ou un slam, en lisant les premières lignes, on s’imagine un rythme musical, et on fredonne les paroles. Tout est brut(e), les mots , leur vie et leurs souffrances. Mais malheureusement, j’ai eu de grosses difficultés à lire cette poésie. Il n’y aucune ponctuation ce qui m’a énormément perturbé dans ma lecture au point d’en être lassé et d’arrêter avant la fin de l’ouvrage. 

C’est un petit peu décevant parce que les histoires, la vie des ces personnages, sont intéressantes et donnent envie d’en savoir plus. J’ai l’impression de passer à côté d’une belle expérience littéraire mais cette absence de ponctuation est vraiment troublante.

Je le garde sous le coude et m’y replongerais de temps à autre à tête reposée. J’ai envie de le finir, d’aller jusqu’au bout, quelque soit le temps que ça prendra.

Je remercie BoB et les éditions Aux Forges de Vulcain pour ce partenariat.

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Nue comme un ver(s) – Emilie Fédou

nuecommeunverCombien de fois l’enfance Émilie Fédou a-t-elle été sabotée, ravagée? Il y eut ainsi la mort de sa mère, l’alcoolisme de son père, le déracinement encore. Et surtout, incompréhensibles, destructeurs, ces gestes incestueux qui lui valurent d’être rejetée. L’inceste: ce pire-que-tout sur lequel il est si difficile de mettre des mots… Seul moyen trouvé par l’auteur pour mettre au monde cette souffrance si longtemps contenue? La poésie et l’écriture de ce recueil qui redonne sa voix à l’enfant prisonnière des ténèbres.

Avant de commencer ce billet, je remercie BoB et Publibook pour ce partenariat.

Je tiens à préciser avant de démarrer que je ne suis un grand lecteur de poésie. J’ai certes étudié Baudelaire au lycée mais depuis, je n’ai lu aucun recueil de poésie. Et c’est donc avec une petite appréhension que j’ai découvert ce recueil.

N’ayant pas l’habitude de savourer les vers, j’ai choisi de lire quelques poèmes par jour, deux ou trois, mais pas plus, pour pouvoir les digérer correctement, pour pouvoir prendre le temps.

Emilie Fédou a subit bien des malheurs dans sa jeunesse et la poésie est le moyen qu’elle a trouvé pour crier au monde sa rage. Certains poèmes sont presque difficiles à lire tellement la souffrance est clairement retranscrite dans ces mots qu’elle fait rimer. On ressent au fil de la lecture beaucoup d’amertume, de l’incompréhension, et beaucoup de souffrance, oui, beaucoup de souffrance.

Il y a des poèmes, sans juger l’auteure et ce qu’elle a subit bien sûr, mais sur le plan littéraire, que j’ai beaucoup aimé, et d’autres moins mais ils sont peu heureusement. Dans l’ensemble, ce recueil est intéressant et j’ai pris du « plaisir » à le lire, même si j’ai eu des fois la sensation de trop en savoir sur sa vie.

L’avant dernier poème est plein d’espoir, plein d’amour, c’est celui-là que je retiendrais, non pas pour renier le passé, mais l’espoir qu’il donne justement. Malgré les souffrances, la vie est belle et vaut le coup d’être vécu pour ces beaux moments qu’elle nous donne.

Je remercie BoB et Publibook.

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